Séminaire UPJV : Le drame liturgique et la représentation de Dieu et du divin [Participation : Présentiel] | |
Contact : TIDAS Mélissa
Catégorie : Accompagnement de la thèse Langue de l'intervention : français Nombre d'heures : 22 Crédits/Points : 3 Min participants : 7 Nbre d'inscrits : 3 Public prioritaire : Aucun Public concerné : Tout doctorant de Sciences Humaines et Sociales Proposé par : Sciences Humaines et Sociales | Lieu : A définir ultérieurement Observations : Les lundis matins de 11h à 13h, 08 et 15.02 01.03, 08.03, 15.03, 22.03, 29.03, 12 et 19.04 10 et 17.05 Début de la formation : 1 mars 2021 Fin de la formation : 17 mai 2021 Date fermeture des inscriptions : 23 février 2021 Programme : Le drame liturgique et la représentation de Dieu et du divin I. Drame liturgique : contexte, définition, problématiques (diapos 1 à 9) Le drame liturgique existait probablement dès l’époque carolingienne, comme le laisse supposer la Regularis Concordia. Ce texte du Xe siècle a été composé par l’évêque de Winchester, Saint Ethelwold, à l’intention, comme toutes les règles monastiques, de la communauté ecclésiastique placée sous son égide. Méthodologiquement : il est probable que cette règle en rejoignait d’autres, mais que toutes les pratiques monacales n’ont pas été enregistrées par écrit. Ceci engendre la piste problématique suivante : le drame liturgique peut-il être considéré comme une continuation du rite chrétien, ou comme une forme alternative ou parallèle à ce dernier ? Voir la dimension universelle de l’Homo Ludens, comme basse continue de la pratique anthropologique du jeu, médiéval ou non : que nous essaierons donc d’historiciser et de nuancer, selon les formes d’art visuel qui s’en sont emparées. La Regularis Concordia illustre parfaitement les traits majeurs du genre théâtral appelé drame liturgique : il s’agit de la présentation de quelques moments forts de la liturgie chrétienne sous forme de théâtre, présentation qu’on peut désigner comme une « personation », pour reprendre le néologisme forgé par un historien de la littérature médiévale, Omer Jodogne . Plus précisément, les tropes dans la liturgie comportent des variations musicales ou mélismes : ce sont ces variations qui ont été réparties entre plusieurs voix. Ces voix étaient celles des prêtres, qui accompagnaient leur chant de gestes et de déplacements au sein de l’espace ecclésial, et fournissaient donc de la liturgie une interprétation à la fois musicale et incarnée —autrement dit : un véritable spectacle. Les principaux moments de l’Histoire Sainte et de sa liturgie qui ont été ainsi interprétés sont Pâques (avec les Jeux de la Résurrection, dont le fameux Quem Quaeritis de la Regularis Concordia est un excellent exemple) ; puis Noël ; mais aussi tous les moments narratifs qui peuvent entourer ces moments-clés. Le choix de ces derniers ne saurait surprendre, car ils célèbrent les mystères de la foi par excellence (voir cours précédent), entre rédemption et Incarnation. Ils sont donc particulièrement aptes à arrêter notre regard, pour une réflexion sur Dieu et le divin. EX : voir la description par Solange Corbin du manuscrit 201 d’Orléans, qui détaille le contenu de ce recueil de drames liturgiques de Fleury-sur-Loire, Romania 93, 1953, p. 1-43, https://www.persee.fr/doc/roma_0035-8029_1953_num_74_293_3349; voir également la diapo ; Méthodologiquement, le drame liturgique peine à trouver une situation dans l’histoire du théâtre français ; ce qui a son importance pour le sujet étudié. En effet, le drame liturgique a été interprété dans les églises au moins du Xe jusqu’au XVe siècle au moins. Cependant, la plupart des témoins manuscrits qui nous en sont parvenus datent des XIe-XIIe siècles : ils ont été conservés parce qu’ils avaient été composés dans de hauts lieux culturels de production iconographique et musicale, comme l’abbaye de Fleury-sur-Loire, celle de Corbie, celle d’Origny-Sainte-Benoite et celle de Saint-Martial de Limoges. Il faut néanmoins concevoir cette mise en corps, en espace et en jeu de moments importants de l’Histoire sainte comme une constante dans l’occident chrétien. Les drames liturgiques ont été considérés par l’histoire du théâtre comme les ancêtres des mystères, ces formes, qui elles, mettent en scène la Bible de la Création à la Rédemption, en développant parfois des épisodes de l’Ancien Testament, mais le plus souvent du Nouveau (mystères de la Passion = Incarnation, naissance, vie mort et résurrection du Christ ; mystères hagiographiques = vies de saints, depuis la naissance jusqu’aux sacrifices et à la résurrection bienheureuse : nous y reviendrons en détail dans le cours suivant). Drames liturgiques et mystères sont donc des formes esthétiques très différentes, aux plans des contenus comme des dispositifs permettant d’en imaginer la mise en scène : mais alors, comment, et pourquoi, les considérer comme un ensemble, un continuum ? Les drames liturgiques sont le plus souvent écrits et joués en latin ; et les mystères, en français, en seraient la version profane. On assisterait donc à une évolution de type téléologique, qui a marqué toute l’histoire du théâtre médiéval, et en a signé la disparition : d’abord en latin, ce drame liturgique aurait été traduit, subissant de ce fait une « profanation », c’est-à-dire une évolution vers le monde profane, par la langue et par les pratiques de jeu. Je donne pour l’instant l’état de la réflexion précédent celle de Gustave Cohen, qu’il a mise au point dans sa thèse de 1906 sur l’Histoire de la mise en scène du théâtre religieux au moyen âge, et reprise dans ses travaux de synthèse ultérieurs (dont l’extrait). C’est à cette évolution qu’on devrait la disparition des genres de théâtre médiévaux, du drame liturgique aux mystères, car tous s’éloigneraient, en s’éloignant de la source rituelle qu’est la liturgie, de leur essence et leur finalité propres : dupliquer le rite . On comprend alors qu’une telle évolution ne laisse aucune chance à ces pièces d’avoir existé en tant que formes esthétiques à l’époque médiévale ; alors que nul ne remet en question cette dimension pour les œuvres iconographiques de la même période, étudiées jusqu’à présent. Nous proposons au contraire de considérer drames liturgiques et mystères comme des cristallisations visuelles distinctes les unes des autres ; et de prendre plutôt en compte un continuum esthétique iconographie-théâtre, pour mieux en comprendre le fonctionnement. L’étude conjointe des formes de Dieu et du divin générées par ces genres théâtraux et ces œuvres iconographiques permet alors deux choses : - Apprécier dans toute leur nuance et leur variété les deux formes, drame liturgique et mystère, car elles répondent à des conditions de production et d’exécution différentes (techniques, humaines) : - Les rapprocher des productions iconographiques contemporaines, tout en respectant également la différence des conditions de production et d’exécution ; - Interroger le lien que ces œuvres entretiennent avec la liturgie : ce lien est-il indispensable ? Suffit-il à les définir, comme on l’a dit du théâtre – et jamais de l’iconographie ? II. Une étude de cas : Dieu et le divin dans le Jeu d’Adam (diapos 10 à 19) Le cas que je soumets à l’étude sacrifie aux lois du genre, et permet l’étude d’une représentation de Dieu au XIIe siècle sous la forme d’un personnage de théâtre : Figura. Présentation générale (diapos 10 à 14) : Il s’agit du Jeu d’Adam – voir diapo 11, Véronique Dominguez, édition et traduction, Paris, Champion classiques, 2012, dont les citations sont extraites. Ce texte du XIIe siècle, conservé dans un manuscrit séparé, à la bibliothèque municipale de Tours (le Tours BM 927) est comme les manuscrits de Fleury, d’Origny ou de Saint-Martial de Limoges, un ensemble de jeux liturgiques. Il s’ouvre sur une Résurrection en latin, suivie de rondeaux articulés à la liturgie — ces pièces étaient des chants dansés : l’on apprend donc grâce à ce manuscrit que les moines dansaient… Le Jeu d’Adam à proprement parler contient (diapo 10) trois moments : la création d’Adam et Eve, du péché originel, puis du couple chassé du paradis ; le meurtre d’Abel par Caïn ; un défilé de 13 prophètes, qui annoncent la venue du Christ pour racheter ce péché originel. Ce texte pose des problèmes nombreux : à quelle liturgie faut-il le rattacher ? Les deux premières parties développent des tropes de la Septuagésime, période qui précède immédiatement Pâques et permet la méditation sur le péché originel ; mais les défilés des prophètes annonçant la venue du Christ sont parfois un genre à part, qui s’est développé à partir d’un sermon, le O Vos Inquam, qui précède Noël. On s’est donc demandé s’il n’était pas préférable de comprendre la troisième partie comme séparée des deux précédentes, ce en dépit de l’évidence de la continuité matérielle entre les deux parties. J’ai donc proposé de les considérer comme un ensemble, qui met l’accent sur le drame d’une humanité aux prises avec son péché, et où l’incarnation distribuée et jouée à plusieurs niveaux montrent avant tout une lecture de l’Histoire sainte du point de vue humain, où l’incarnation théâtrale répond à l’Incarnation, et relègue au second plan le traitement théologique de l’interdit de la représentation, pour développer les implications de l’action divine pour la créature humaine, de son point de vue et avec ses moyens d’expression. Le bouleversement du calendrier liturgique (Septuagésime avant Noel) conduit à éloigner cette représentation des deux moments liturgiques considérés, et à envisager l’interprétation du Jeu d’Adam de manière indépendante de l’office : c’est en cela qu’on peut parler d’une « liturgie récréative ». Ainsi Figura, on le verra, porte la dalmatique, vêtement des ecclésiastiques, mais il est appelé à respecter comme les autres protagonistes un jeu de paroles et de gestes répété, maitrisé, et concerté, dans un décor travaillé qui doit évoquer le paradis (diapo 15). A noter (diapos 12 à 14) : le Jeu d’Adam a connu une importante promotion dans l’histoire du théâtre du fait de son ancienneté et de facteurs historiques liés à l’état avant tout archéologique et philologique de la recherche qui l’a redécouvert au XIXe siècle. Mais cette promotion s’est faite au détriment de l’étude de ses contenus. OR ceux-ci permettent précisément d’envisager cette lecture de Dieu et du divin humanisée. Les diapos 15 à 19 se concentrent sur ce contenu, en indiquant les éléments de mise en scène et en jeu de Dieu et du divin, qui lui permettent de s’inscrire dans la splendeur visuelle (citation diapo 14) que nous avons déjà relevée pour les figures divines de la renaissance carolingienne puis de l’art roman. La représentation du divin est assumée sous la forme d’un personnage : Figura, appelée également Salvator, le Sauveur, dans la didascalie initiale. Le terme de Figrua assimile le personnage de Dieu à une figure de rhétorique. Il est également utilisé pour décrire le processus d’interprétation allégorique auquel l’ensemble de l’Histoire Sainte est soumise, par la pratique théologique du commentaire appelée exégèse . Aux plans linguistique et théologique, la désignation de Dieu comme Figura semble donc supposer une mise à distance de la visibilité du divin. POURTANT, la didascalie initiale (diapo 15) suppose la mise en scène de personnages, avec une représentation à mi-corps : comment la comprendre ? Ellipse de la représentation, hiatus du visible, en écho aux interdits vétérotestamentaires déjà mentionnés ? Ou pratiques de représentation, dont on trouve des exemples ailleurs, dans des références visuelles accompagnant des textes distincts de l’Histoire Sainte (diapo 16) ? On retiendra de ces moments Le texte lui-même porte les traces d’un jeu explicitement incarné par Figura. Dans la première scène dialoguée, (diapo 17), on assiste à la création d’Adam (et rubeus n’est pas sans faire écho à la belle traduction de la Bible des écrivains étudiée lors du cours précédent). Figura et sa créature entretiennent un rapport de type féodal, et l’obéissance d’Adam est celle d’un vassal pour son suzerain (image de la guerre). Ce rapport est donc historiquement inscrit dans des pratiques humaines, qui l’éloignent d’une acception de type théologique . Par ailleurs, la disposition des répliques dans le manuscrit indique, in progress, la prise en compte progressive de la dimension humaine et incarnée de leur relation. Ainsi, le manuscrit est copié en continu jusqu’au moment du péché originel ; puis la copie mime la répartition des voix, — avec le F et le A en fin de vers, pour introduire la réplique du personnage qui prend la parole (diapo 18). Mais en dépit de cet enregistrement matériel, sensible à la fracture du péché originel, c’est d’un bout à l’autre de la pièce que le jeu de Figura et d’Adam est scandé par une versification simple, dont les heurts éventuels (octosyllabes à rimes plates interrompus par des tétrasyllabes) portent souvent le rythme de sentiments humains prêtés à Figura : l’autorité (diapo 17), puis la colère de Dieu quand cette autorité est mise en question, et face aux sentiments de sa créature : la naïveté, et enfin la honte de la créature déchue face à son péché (diapos 19 et sa traduction diapo 20). Du Dies Irae à sa mise en scène par le Jeu d’Adam : le caractère émotionnel des répliques de Figura éloigne celle-ci de l’impassibilité et du hiatus initial de la représentation. L’ensemble apparait comme une interprétation humanisée et incarnée d’un moment capital de l’Histoire Sainte, assumée comme une possibilité de lecture, par des moines qui appréciaient de s’en donner le spectacle. Je propose donc de parler de liturgie récréative , distincte de la pratique liturgique de l’office ¬— ce sont, comme a pu le dire Marius Sepet, des « vêpres extraordinaires » , mais dans lesquelles j’entends moins l’office que les formes spectaculaires qui lui sont données. CONCLUSION : Le Jeu d’Adam apparait comme une écriture de la Création et du péché originel qu’il nous appartient de comparer maintenant avec les représentations iconographiques d’un Dieu impassible et tout-puissant, du type Pantocrator ou Christ en majesté. Au plan des figures divines représentées, la Figure est-elle christologique, comme dans ces exemples? Il est probable que les traits accentués — autorité, colère ¬— peuvent être ceux du Christ, ce que le nom initial de Salvator rappelle également. Il n’en demeure pas moins que l’humanité de Figura, très développée par rapport la relative impassibilité des figures iconographiques du Pantocrator ou du Christ en majesté, propose de Dieu une représentation incarnée, moins soucieuse de la toute-puissance divine que du lien profond entre Dieu et son image. C’est donc un Dieu incarné dans toute la sensibilité que suppose cette Incarnation que le Jeu d’Adam donne à voir ; et cette représentation conduit à penser que le drame liturgique en général et le Jeu d’Adam en particulier ont peut-être anticipé l’humanisation de la figure du divin, qui conduira à l’individualisation des figures de la Trinité dans l’iconographie, et dont les mystères donneront une version exacerbée — on le verra au prochain cours. En marge de notre séminaire, pour une comparaison effective entre l’art roman et le Jeu d’Adam, voir Véronique Dominguez « Le Jeu d’Adam et Notre-Dame La Grande : anciennes et nouvelles lectures », dans Théâtre et révélation : donner à voir et à entendre au moyen âge, hommage à Jean-Pierre Bordier, Paris, Champion, 2017, p. 51-66. Equipe pédagogique : Mme DOMINGUEZ Véronique |